Les Juifs en pays arabes, une condition de colonisé – 1/2 (En lisant Georges Bensoussan)
Voici le compte-rendu brillant du livre de Georges Bensoussan par Olivier Ypsilantis à lire dans son intégralité sur son blog : http://zakhor-online.com/?p=13879
Cet article s’appuie sur le chapitre III, « Une condition de colonisé », de la somme de Georges Bensoussan, « Juifs en pays arabes – Le grand déracinement, 1850-1975 »
Fin XIXe siècle. L’image du Juif prend en pays arabe la figure du mépris qui sera remplacée par celle du traître.
La figure du mépris ? Charles de Foucauld l’a expérimentée, en 1883, alors qu’il s’était déguisé en juif. Dans le monde arabo-musulman d’alors, le Juif n’est qu’un dhimmi. Il n’obsède pas, même sur le plan théologique. La passion anti-judaïque vient essentiellement des Chrétiens, à commencer par les Chrétiens convertis à l’Islam. La polémique théologique musulmane contre le judaïsme est d’abord activée par les sources chrétiennes pré-islamiques « introduites dans le milieu musulman par les conversions en masse des Chrétiens. Ces sources provenaient elles-mêmes de la tradition antijuive héritée de l’Antiquité, et réactualisée par les Juifs convertis au christianisme », ainsi que le rapporte Bernard Lewis dans « Juifs en terre d’Islam ».
Le mépris est un code culturel dans ce monde arabe. Au Yémen, par exemple, il prend une forme extrême : le Juif est préposé au ramassage des excréments et des charognes d’animaux dans les quartiers musulmans et il relève les cadavres des non-musulmans. La figure du dhimmi, le Juif en l’occurrence, est sous-tendue par l’économie psychique et les structures qui organisent le monde arabo-musulman : l’islam est avant tout une religion de soumission, la servitude – voire l’esclavage – est la clé de voûte de cet ensemble.
Dans ce cadre mental, le Juif se voit féminisé, la femme représentant dans ce monde l’image même de la soumission. Cette image du « Juif femme » n’est pas absente de l’Occident chrétien où le Juif est assimilé à la sorcière et ses menstrues. En terres arabes, cette image du « Juif femme » est si forte que celui-ci peut se rendre chez une Musulmane (qui par ailleurs ne peut recevoir de « vrais » hommes, à savoir des Musulmans) pour y pratiquer son métier, le colportage par exemple.
Le Juif, le dhimmi, est un peureux, un apeuré, un pleutre, celui qui reçoit des coups mais n’en rendra aucun, celui qui lorsqu’on le frappe s’incline et se tait, et s’écrase au sol au point de s’y confondre. Pourtant, ce Juif méprisé inquiète. C’est pourquoi l’accusation de crime rituel, ce produit d’importation venu du monde chrétien, va faire fortune dans le monde arabe.
Le Juif est le souffre-douleur attitré : on passe sur lui ses frustrations, ses inquiétudes, ses ressentiments. Et aucun Juif n’est épargné, pas même les Juifs de cour. Souvenez-vous du vizir juif Joseph ibn Naghrela tombé en disgrâce auprès de son maître, le sultan, et qui fut lynché par la populace, à Grenade, un meurtre qui donna le coup d’envoi au meurtre de la communauté juive de la ville, le 30 décembre 1066.
Révolte antifiscale, augmentation soudaine des prix, pression d’une puissance étrangère en terre arabo-musulmane (comme celle de la France au Maroc) et la foule se dirige vers le mellah (avec généralement la complicité du pouvoir) pour se défouler tout en espérant se remplir les poches, étant entendu que les Juifs dorment sur des sacs de pièces d’or (?).
Les Juifs d’Orient intéressent peu en cette fin XIXe siècle et en ce début XXe siècle. On les voit comme de braves gens, très superstitieux et peu intelligents qu’il conviendrait d’éduquer, une vision proche de celle qu’ont les Juifs allemands des Juifs des ghettos d’Europe orientale, de Pologne notamment. Les Ashkénazes éprouvent envers ces Juifs « totalement arabisés » de l’embarras et parfois même de la répulsion. A l’occasion pointe un sentiment de solidarité mais embarrassé : on craint de heurter les populations arabes en dénonçant la condition faite aux Juifs.
L’Alliance israélite universelle se propose d’éduquer ces populations juives en terres arabes, populations qu’elle présente comme crétinisées, pour faire simple. On peut lui reprocher cette appréciation mais elle traduit une détresse, et l’état de ces populations est effrayant, intellectuellement, physiquement, moralement. L’Alliance comprend confusément que sous la crasse et l’hébétude, il y a autre chose que du crétinisme ou de la stupidité. Des notables juifs sont également coupables de cette situation, bien que dans une moindre mesure : ils craignent que la diffusion de l’instruction chez leurs coreligionnaires n’en fasse des rivaux et ne menace leur situation. Certes, il y a aussi le « regard colonial » et le choc culturel que provoque la rencontre de deux mondes ; il n’empêche, les enquêtes statistiques, économiques et démographiques convergent et dessinent une situation accablante.
A cette situation de dhimmi s’ajoute la peur constante, une peur tantôt sourde tantôt ouverte, comme dans le Maroc des années 1880-1910. La coexistence parfois chaleureuse entre Juifs et Arabes peut à tout moment basculer si ces derniers jugent que leurs dhimmis oublient leur dhimmitude. Les Juifs naissent et meurent avec la peur ; et cette peur ne suscite aucune solidarité. Seule compte la réussite individuelle. Il s’agit de survivre individuellement, dans l’inquiétude d’être juif qui taraude et dont on a volontiers honte. On se déjudaïse, ce qui fragilise encore plus les individus. On en vient à précéder son persécuteur, à se faire encore et toujours plus soumis dans l’espoir d’être accepté sans rien comprendre au mécanisme de la soumission, par manque de recul, par fatigue aussi. Le dhimmi est un individu épuisé. Il est devenu sa propre prison.
Voici un tableau représentant la population juive par pays et par année depuis 1948. Il n'est pas tenu compte des Juifs qui avaient fui leur pays avant 1948 et il y en eu beaucoup comme par exemple les différentes vagues de Juifs qui quittaient le Yémen et autres encore.
