«La démocratie débouche sur l’islam», Mordechai Kedar
Le docteur Kedar, orientaliste à l’université de Bar-Ilan, a rappelé que nombreux étaient ceux qui avaient prévenu qu’en Egypte, la démocratie ne pouvait rien apporter d’autre que l’intégrisme. Il a expliqué qu’il suffisait de connaître l’environnement socioculturel sur le terrain pour s’interdire de rêver sur un avenir plus éclairé et un abandon du totalitarisme. «La population est dans l’ensemble religieuse. Certains le sont à l’extrême. Et ce qui se passe aujourd’hui était à prévoir. La démocratie ne peut que leur permettre de se saisir des rênes du pouvoir.».
Mordekhaï Kedar, spécialiste de la civilisation arabo islamique, de la langue arabe et du Moyen-Orient, dont les analyses déconcertent souvent des observateurs qui interprètent mal le terrain, Il répond au message d’apaisement de l’organisation intégriste des Frères musulmans, grande gagnante des élections, qui tente de rassurer l’Occident, mais qui, même s’il était réellement sincère, se trouve à présent dans l’engrenage: «S’ils n’imposent pas le système du droit islamique, sharia, du moins d’une certaine façon, tous les salafistes, qui ont eux aussi obtenu un important succès, avec quelque 20% des suffrages, les considèreront comme des « renégats », ce qui représenterait pour eux une situation insurmontable. L’entité la plus religieuse entraîne toujours les autres religieux à plus d’intégrisme. Et ils ne peuvent pas ignorer ce glissement qui conduirait des religieux plus religieux qu’eux à les faire passer pour des renégats.»
Le docteur Kedar fait part de ce à quoi il faut s’attendre à partir des derniers développements: «Du point de vue d’Israël, il est tout à fait envisageable que la représentation diplomatique d’Israël en Egypte soit revue à la baisse, en passant du niveau d’ambassade à celui de consulat, voire à un bureau d’intérêts, ou alors il faudra se contenter d’une ambassade qui serait hébergée auprès d’une autre ambassade. Vraisemblablement, ils ne devraient pas annuler l’accord de paix, pour ne pas que soient retirés tous les investissements qui se trouvent encore en Egypte à l’heure actuelle, et pour ne pas repousser les touristes qui peut-être voudraient encore s’y rendre, et y revenir à l’avenir. Ils ne sont pas en train de rechercher une guerre qui leur fermerait le canal de Suez, comme cela s’est déjà produit à deux reprises dans le passé.
Ils vont chercher à gouverner la population, mais pas à la nourrir. Car ce n’est pas une mince affaire que de nourrir 90 millions de gens, quand la plupart d’entre eux gagnent leur vie avec moins de 2 $ par jour, et vivent dans des quartiers pauvres et terriblement insalubres, sans eau, sans égout, sans électricité, et il est indéniable qu’ils se sont chargés d’une tâche extrêmement ardue, c’est pourquoi ils risquent d’être fort occupés par leurs affaires intérieures et de moins s’occuper de l’extérieur.»
Sur la question d’un changement possible le long de la frontière, et si elle risque de ressembler à ce qui se trame dans le nord d’Israël, il estime: «Si Moubarak s’est très peu occupé d’empêcher la contrebande de l’Egypte à Gaza, les Frères musulmans s’en occuperont encore moins. Ce qui veut dire qu’il est fort possible qu’ils se mettront même à envoyer de l’armement à Gaza. Peut-être le feront-ils d’une manière détournée pour ne pas s’exposer à des problèmes avec nous. Cependant, je ne vois pas de guerre, parce que pour faire la guerre il faut de l’argent, des munitions, de l’essence, et des pièces de rechange. Je ne prévois donc pas de guerre étant donné que ce qui leur manque le plus, c’est l’argent.»
Il dresse un portrait de la situation globale: «Ce n’est pas qu’en Egypte que l’islam s’étend, c’est aussi en Tunisie, où nous avons pu voir les luttes entre laïcs et musulmans, c’est aussi au Maroc qu’il y a des problèmes. La région glisse de plus en plus vers l’islam, et Israël doit protéger ses intérêts et voir de quelle manière il lui est possible de composer avec ce nouvel environnement, de plus en plus « vert ».»