Les chrétiens sionistes aux Etats-Unis, un sujet essentiel et mal connu, Pierre Itshak Lurçat
Le meilleur allié d’Israël (et peut-être le seul) ce sont les Juifs américains… Cette affirmation souvent entendue, qui s’accompagne parfois d’évaluations fantasmatiques sur le pouvoir du “lobby juif” aux Etats-Unis, est doublement fausse. Tout d’abord, parce que les Juifs américains – qui votent traditionnellement pour le parti démocrate dans leur grande majorité – se sentent de moins en moins concernés par l’avenir d’Israël, comme le montrent plusieurs études récentes. Ensuite et surtout, parce que les véritables alliés d’Israël aux Etats-Unis ne sont pas les Juifs, mais bien les chrétiens, ou plutôt certains chrétiens, ceux que l’on qualifie de “sionistes chrétiens”, qui constituent un pouvoir considérable aux Etats-Unis et qui défendent efficacement l’alliance entre l’Amérique et Israël, mise à mal depuis l’arrivée au pouvoir de Barack Obama.
Curieusement, ce phénomène essentiel de la politique américaine et internationale n’avait fait l’objet d’aucune étude sérieuse en français, jusqu’à la parution du livre de Célia Belin, au titre quelque peu énigmatique de “Jésus est juif en Amérique”. L’auteur est chercheur en relations internationales, spécialiste des Etats-Unis. Le sionisme chrétien est plus ancien que le sionisme politique juif, qu’il a en effet devancé et accompagné à tous les moments cruciaux de son histoire. Herzl, on le sait, se heurta à l’incompréhension et à l’hostilité d’une grande partie des notables et dirigeants juifs de son époque. Un de ses partisans les plus enthousiastes – dont le nom a été injustement oublié – fut le révérend William Hechler, sioniste chrétien convaincu qui collectionnait les maquettes du Temple de Jérusalem et était aussi le précepteur des enfants du Grand Duc de Baden, ce qui lui permit d’introduire Herzl auprès de l’empereur Guillaume II. Vingt ans plus tard, un autre chrétien sioniste, Lord Balfour, accomplit un pas décisif en direction de la création de l’Etat juif, en reconnaissant la légitimité du “foyer national juif” en Eretz-Israël, au nom du gouvernement de Sa Majesté.
Mais c’est bien plus tard, après 1967 et surtout dans les années 1980, que le sionisme chrétien se transforma d’une doctrine théologique relativement ésotérique en un mouvement politique structuré, très actif au Congrès, et devint un acteur incontournable de la vie politique américaine, comme le montre bien le livre de Célia Belin. Contrairement au fameux “lobby juif américain”, dont elle souligne justement le caractère fantasmatique, le lobby chrétien sioniste existe réellement et remplit son rôle avec une grande efficacité. Que ce soit pour contrer les pressions exercées par l’administration américaine sur les gouvernements israéliens, pour tenter d’empêcher la création d’un Etat terroriste ‘palestinien’ ou pour soutenir le renforcement de la présence juive en Judée-Samarie, les sionistes chrétiens affichent et défendent leurs choix politiques avec ardeur et conviction.
Des Américains plus sionistes que les Juifs…
Dans ces circonstances, il est étonnant de voir la froideur que manifestent de nombreux Juifs à l’égard de ces alliés de poids. Celle-ci tient à deux raisons essentielles. La première est théologique : aux yeux de nombreux Juifs, les sionistes chrétiens les plus amicaux demeurent suspects d’intentions missionnaires, et leur sympathie pour Israël n’est qu’un masque dissimulant leur volonté de convertir les Juifs… La seconde est politique : sur la scène intérieure américaine, les sionistes chrétiens sont en majorité conservateurs et républicains, tandis que les Juifs sont plutôt démocrates et “libéraux”.
Le livre de Célia Belin n’est pas exempt de défauts. Fondé sur une thèse de doctorat, il ne parvient pas toujours à échapper au carcan du style universitaire. D’autre part l’auteur, lorsqu’elle évoque l’attachement des sionistes chrétiens au “Grand Israël”, tombe parfois dans la caricature, au lieu de tenter de comprendre leurs motivations. Il est dommage qu’elle consacre de longs développements parfois fastidieux à la politique intérieure américaine, au lieu de dresser des portraits plus vivants des militants chrétiens, pour lesquels elle manque d’empathie. Mais ces défauts ne diminuent pas l’intérêt de son travail, qui constitue un ouvrage pionnier sur un sujet essentiel.
Pierre Itshak Lurçat
Célia Belin, Jésus est juif en Amérique, Droite évangélique et lobbies chrétiens pro-Israël, Fayard 2011, 358 pages.
ARTICLE PARU DANS ISRAEL MAGAZINE.