Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

               

          Sand_shlomo_website_iii       [Tourmenté et lugubre sur toutes les photos...Danilette]

Lire l'article sur www.parolevolee.com

Peu connu auparavant, l'historien israélien Shlomo Sand, aux "origines juives autrichiennes" comme il l'a dit lui-même, s'est fait une réputation grand public en publiant chez Fayard (important éditeur dans le domaine de l'Histoire) son livre "Comment le peuple juif fut inventé" (2010).

 

Il a récidivé ces jours-ci avec la publication d'un autre brûlot, "Comment j'ai cessé d'être Juif" (Flammarion, 2013). Entre les deux, il y a eu aussi "Comment la Terre d'Israël fut inventée". On peut donc dire qu'il a rapidement progressé dans son entreprise de déconstruction du peuple juif !

A ses débuts, Sand avait commencé par s'intéresser de près aux idées et à la biographie de Georges Sorel (1847-1922), ingénieur et penseur français du marxisme et surtout du syndicalisme révolutionnaire, et dont le principal ouvrage s'appelle "Réflexions sur la violence". Sorel fut un défenseur des Bolchéviques et un admirateur de Lénine – mais d'un autre côté, Mussolini aussi se targua de l'admirer.

On voit de ce qui précède que Sorel fut un "compagnon" et un inspirateur de mouvements extrémistes de gauche comme de droite, il fréquenta même un certain temps des membres de l'Action Française de Charles Maurras, notoirement antisémite.


Il faut préciser que Shlomo Sand est né à Linz, en Autriche, de parents communistes qui allèrent vivre en Israël, sans doute "faute de choix", mais sans jamais abandonner leurs idées. Lui-même fit des études d'Histoire à l'Université de Tel-Aviv (où il est aujourd'hui professeur), ainsi qu'à Paris.
Faire du neuf avec du vieux.


En préparant "Comment le peuple juif fut inventé", Sand a réuni toute une série de recherches, études et thèses cumulées et écrites avant lui – dans le but d'étayer sa propre théorie sur le "caractère factice et disparate" du concept de peuple juif, créé selon lui de toutes pièces par des historiens et idéologues juifs du 19ème et du 20ème siècles, désireux d'inventer un nationalisme juif inexistant avant eux.

Il se trouve que moi aussi, j'ai pris connaissance d'une grande partie de cette littérature, il y a 30, 40 ans et même plus que cela.

Donc, aucune nouveauté dans tout ce matériau. Toute la différence réside dans la lecture qu'on en fait, dans l'interprétation. Choses qui dépendent énormément des mobiles et des intentions de celui qui se livre à ladite interprétation, de son ouverture d'esprit et surtout de sa droiture.

Il serait bon de se référer en la matière au livre de l'éminent historien Marc Bloch (1886-1944), co-fondateur de la célèbre revue des "Annales", "Apologie pour l'Histoire" – où il traite des exigences du métier d'historien .


Il faut dire que Shlomo Sand lui-même est plutôt franc sur ses mobiles. Son avant-propos commence par une citation de Karl W. Deutsch : "Une nation [...] est un groupe de personnes unie par une erreur commune sur leurs ancêtres, et une aversion commune envers leurs voisins".

Sand ne croit pas si bien dire : il veut que cet adage s'applique à sa démonstration sur le caractère artificiel de la nationalité juive, bâtie notamment sur la "haine du voisin" – mais quand on y réfléchit un tant soit peu, on comprend que c'est valable à peu près pour toutes les nationalités et tous les peuples : "on ne se pose qu'en s'opposant" !

Après tout, c'est aux Athéniens antiques que nous devons les termes de métèques, barbares, autochtones et xénophobie, qui tournent tous autour du rejet de l'étranger, de la protection exclusive de "votre" tribu !

Elève entre autres de Saül Friedlander, grand spécialiste du Nazisme et de la Shoah, à l'Université de Tel-Aviv, j'ai appris chez ce dernier qu'il existe toujours plusieurs écoles historiographiques, qui analysent chacune de manière différente les mêmes événements ou périodes historiques. L'Histoire humaine est peut-être une dans ses fondements – mais elle est plurielle dans ce que chacun en comprend.

Chacun a une "mémoire sélective", des idées et des sentiments personnels, une idéologie forte ou faible – éléments qui peuvent d'ailleurs varier avec le temps.

Par exemple, le Nazisme a été expliqué de manières différentes par les historiens marxistes, par ceux de l'Histoire des idées, les psycho-historiens, ceux de l'influence des climats à la manière de Condorcet, ou les adeptes de l' "Ecole des Annales" fondée par Marc Bloch et Lucien Febvre (l'Histoire totale).

De facto, chaque historien choisit les faits qui lui paraissent importants – et écarte les autres. Pour lui, c'est son choix qui est le bon, qui est pertinent et fait autorité. Il n'y a pas d'Histoire innocente, la bonne est tout simplement la votre .
Qu'est-ce qu'un peuple ?


Pour moi, il ne fait aucun doute que Shlomo Sand a complètement raté son analyse du "fait juif". Quand il emploie le mot de "peuple", il est tout près de lui appliquer la "conception raciste" qui était celle d'Hitler, des Nazis et de leurs compagnons de route – une conception fondée sur l'existence de prétendues "races", de prétendus liens biologiques indélébiles, irréfragables !

Or de nos jours, les chercheurs éclairés ne soutiennent plus du tout cette approche génétique de l'Histoire des hommes : les Nations et les peuples sont considérés comme des "représentations mentales collectives", des créations de l'esprit autant qu'elles sont le fruit de regroupements humains dictés par le hasard et la nécessité - géographiquement, aux plans économique, linguistique, culturel, etc.

Je fais donc miennes les affirmations ironiques de Karl Deutsch, en ajoutant cependant que ce n'est pas tout.


Dans son ouvrage sur "L'institution imaginaire de la société" , Cornelius Castoriadis a particulièrement étudié et analysé le fait que les sociétés humaines sont toutes des agrégats fondés sur des liens mentaux, sur l'imaginaire de ses membres. Selon lui, la société humaine constitue ontologiquement un « niveau d'être » sans équivalent.

Elle n'existe certes que par les individus qui la composent, mais elle est autre chose que la simple juxtaposition de ces individus, ne serait-ce qu'en ce que c'est la société qui forme les individus en tant que tels, dans un processus où l'enfant, d'abord centré psychiquement uniquement sur lui-même, subit une socialisation dans laquelle le "message social" est totalement intégré à son univers mental !

De plus, selon Castoriadis, les sociétés sont nécessairement historiques, ce qui signifie qu'elles s'inscrivent dans une dynamique d'auto-altération, aussi bien de leurs significations imaginaires sociales (celles-ci qui confèrent un sens à la réalité, à la société elle-même ou encore à l'existence individuelle) que des institutions qui les incarnent (qui en sont les porteuses) - et ce, quand bien même ces transformations sont minimes et/ou niées par les sociétés en question, comme c'est le cas des sociétés traditionnelles ou dites primitives. C'est en ce sens que Castoriadis parle de social-historique.

Autrement dit, les sociétés résultent d'un processus d'auto-création, etdonc, en l'occurrence, d'auto-institution. Il distingue entre la Nature, qui existe avant l'être humain et obéit à des lois physiques qu'il reste juste à découvrir – et l'Humain qui se comporte d'une manière fondamentalement différente, parce qu'il résulte d'une autoproduction .

Par définition, une société humaine ne peut pas rester fixe et immuable, elle évolue sans cesse, même si tout ou partie de ses membres nient et rejettent le changement !

 
Si l'on en revient à Karl Deutsch, on s'apercevra que sa boutade s'applique en fait presque à tous les peuples, sinon tous ! Prenons l'exemple du peuple français : il est avéré qu'il a des ancêtres gaulois, mais on ne sait pas à quel point ils étaient mâtinés des habitants qui les avaient précédés dans l'hexagone (Ibères ?) ; vinrent ensuite les Romains, puis les "envahisseurs" Francs, Wisigoths, Burgondes, certes minoritaires par rapport aux gallo-romains ; les Normands ("nortman"), les Bretons venus-revenus de Grande Bretagne, les Alsaciens du groupe alémanique, les Basques totalement inclassables ; et aux Temps Modernes viennent s'ajouter des Néerlandais, des Italiens, des Polonais, des Russes, des Arméniens, des Espagnols, des Portugais, des Vietnamiens...

La liste est longue, et que dire de tous les allogènes des quatre coins du monde arrivés en France depuis 1945 ?


Le peuple allemand aussi est loin d'être homogène, les traces des anciennes tribus germaniques n'ont pas totalement disparues : Bavarois (jusqu'à ce jour, on est Bavarois avant d'être allemand), Saxons, Thuringiens, Souabes, Alamans, Franconiens (Francs), Frisons et autres, sans compter quelques îlots slaves résiduels de Sorbes et de Liutizes. Lui aussi a absorbé toutes sortes d'immigrants, tels les Huguenots français chassés par Louis XIV (ce sont eux qui firent la grandeur de la Prusse luthérienne !).


Ce n'est pas mieux pour le peuple britannique, si tant est qu'il mérite ce nom. Ses ancêtres sont les Brittons (Bretons) celtes, sur lesquels vinrent se greffer les Angles, Saxons, Jutes, Danois, Norvégiens et enfin les Normands. Les populations celtes furent refoulées au Pays de Galles, en Cornouailles, en Ecosse et en Irlande, où elles subsistent toujours. D'où le Royaume Uni.


Pour aller plus loin, faut-il parler ici des Etats-Unis et du Peuple américain, véritable mosaïque d'identités ethniques, religieuses, linguistiques – où les WASP (White Anglo-Saxon People) ne sont même plus majoritaires à l'heure actuelle ? Jusqu'à nouvel ordre, ce peuple reste uni par un patriotisme fédératif très spécifique, où chaque composante conserve certains caractères distincts.

Les Etats-Unis sont un Etat fédéral, mais ils ne sont pas les seuls, on peut ajouter le Canada, le Brésil, l'Union Indienne, l'Australie – et l'Allemagne ! D'autres pays ont des problèmes de différenciation qui les poussent vers la fédéralisation, ou l'octroi de l'autonomie à telle ou telle province.


La méprise et le déni.
Pour ma part, j'estime que Shlomo Sand est de ces "Juifs de naissance" qui récusent leurs origines et veulent divorcer totalement de ces dernières, phénomène que l'on a déjà qualifié dans le passé de "haine de soi" : un Juif qui ne veut "plus être identifié avec toutes les tares et tous les crimes dont sont accusés les Juifs en général". Qui quitte sa peau et en revêt une autre.

Il marche en cela sur les traces de Nicolas Donin, juif "français" converti au catholicisme qui diffama ses anciens congénères et provoqua le "Procès du Talmud" à Parisen 1240, devant le roi Saint Louis (lui-même !) – ensuite de quoi le Talmud fut brûlé en Place de Grève, ce qui était une première historique .

Sand est une sorte de réincarnation de ces incendiaires qui boutent le feu contre les Juifs. Aucun sentiment, aucune pitié, rien que la haine qui prétend ne pas en être. Donin ne fut pas le seul, d'autres suivirent, sous toutes les latitudes et en des temps divers. Le martyrologue de leurs victimes est fort long.


Après tout, vouloir quitter le peuple juif – création avant tout mentale et imaginaire, je le répète, même avec ou sans la religion – est à la portée de tout un chacun. Il y a toujours eu des abandons de cette sorte, collectifs ou individuels.

Il y a eu des conversions-départs au Christianisme au long des siècles (en masse !), vers l'Islam – Sabbetay Zevi, d'abord Messie autoproclamé, devint finalement Mahométan – puis de nouveau au Christianisme aux 19ème et 20ème siècles européens. Chacun est libre de partir, de devenir agnostique, communiste, bouddhiste, etc.

La religion juive elle-même, à la différence de l'Islam, ne condamne pas à mort celui qui la quitte : d'une manière surprenante et paradoxale, elle admet que la non-pratique des rites n'exclut personne du peuple juif – seuls les milieux religieux rigoristes et extrémistes excommunient les renégats ! M. Sand, vous pouvez vous en aller – Adieu, sans Au revoir !


Logiquement, Shlomo Sand vient donc de publier "Comment j'ai cessé d'être Juif". Nous enregistrons qu'il ne l'est plus, il n'est donc rien d'autre qu'un vil détracteur et diffamateur du fait juif – du peuple juif. Jean-Paul Sartre lui rappellerait que c'est "l'autre (= l'antisémite) qui fait le Juif", je pense que personne ne le dispensera de ses origines – au contraire, une foule d'antisémites et "anti-israéliens" vont exploiter ses exploits littéraires pour clouer Israël et les Juifs au pilori.

Ces gens ne font pas dans le détail, ils font flèche de tout bois. Ce n'est pas le moment d'élever un monument à la gloire de M. Sand !


J'oubliais : Sand doit gagner beaucoup d'argent avec sa trilogie, tout un public qui n'attendait que ça s'arrache ses bouquins.

Notes :

-Livre écrit en 1941, peu de temps après son opuscule L'étrange défaite, où il expliquait en historien les mécanismes de la défaite française de 1940

-Voir notamment l'ouvrage de Marc Ferro, Comment on raconte l'Histoire aux enfants..., Paris, Payot, 1981.
Je paraphrase Jacques Monod, sauf que lui parlait de biogénétique. De mon côté, je parle de "génétique sociale", en affirmant qu'elle n'est guère éloignée de la première. Il s'agit dans les deux cas de processus évolutif.
Paris, Seuil, 1975.


-Ce paragraphe est partiellement emprunté à l'entrée sur Cornelius Castoriadis (avec qui j'ai eu des contacts dans les années 80), dans Wikipédia. La lecture de son livre (en ma possession) est en effet ardue, mais trèséclairante. Castoriadis avait eu des rapports avec Claude Lefort, Edgar Morin, Michel Leiris, l'Ecole Freudienne de Paris, etc.
De fait, Castoriadis emboîte le pas à J.-J. Rousseau, pour qui le peuple n'existe pas comme fait donné, il n'est qu'un agrégat d'individus tant qu'il ne s'est pas constitué en tant que tel grâce au contrat social.

Le peuple, c'est l'ensemble des contractants, le « corps des associés » (d'où "Le Contrat social").

©Article reproductible à condition de ne faire aucune modification de mentionner le nom de l'auteur et le lien de son site. www.parolevolee.com

Tag(s) : #Israël
Partager cet article
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :