Une grande leçon du professeur Henri Baruk

Publié le par danilette

Henri Baruk, de l'hébreu Baroukh, béni, porte bien son nom. Il est surtout connu pour avoir développé la "psychiatrie morale", en accord avec les valeurs juives de Tsedek, justice, vérité, il a écrit des ouvrages passionnants dont je vous parlerai prochainement.

Extraits de l'entretien de Jacques CHANCEL avec Henri BARUK, neuropsychiatre sur son livre Des Hommes comme Nous, diffusé le 13 avril 1976 sur France Inter

Jacques Chancel : pour être vraiment dans la vérité et je dois dire que vous êtes un neuropsychiatre de grande réputation, un institut porte d'ailleurs votre nom en Israël, vous êtes membre de l'Académie de Médecine mais aujourd'hui à 79 ans vous faites un retour sur une vie bien remplie, agitée peut-être de fantômes, mais j'ai l'impression moi, que vous vivez un soir très paisible

Henri Baruk : absolument, c'est un soir très paisible parce que les épreuves fortifient si on arrive à les dominer, il ne faut pas se laisser écraser par elles, les épreuves les plus terribles comme celles par exemple des persécutions hitlériennes et des haines humaines qui sont si redoutables, doivent être étudiées aussi de très près. Il faut connaître les mécanismes de la haine et quand on les a bien étudiées et qu'on étudie bien les bas-fonds de l'espèce humaine, alors on comprend mieux l'homme dans tous ses fondements, c'est-à-dire dans ses fondements à la fois très élevés et très hauts et dans ses fondements très bas qui sont, si on peut dire, des fondements presque animaux mais alors on peut mieux comprendre et surtout on peut mieux travailler à la pacification

Jacques Chancel : mais la haine est-elle une forme de folie ?

Henri Baruk : on ne peut pas dire que la haine soit une forme de folie parce que dans la vie courante, elle est extrêmement développée, soit chez les individus, soit même dans les collectivités, et même sur le plan national et international. On a longtemps considéré que la haine était le fait de l'exagération de l'instinct d'agressivité, c'est ce qui a été très longtemps soutenu.

Je suis d'un avis tout à fait différent, dans la plupart des cas que j'ai observés de très très près, les plus violents, j'ai pu remarquer que la haine humaine est différente de l'agressivité animale, elle est une réaction au sentiment de culpabilité possédé par le sujet. 

Lorsqu’un sujet se sent coupable de quelque chose, il peut réparer ce qu'il a fait c'est la meilleure méthode ou bien il peut essayer de l'oublier et de compenser par d'autres actes mais s'il ne veut pas le reconnaître, il refoule sa culpabilité et à ce moment-là, il la transfère sur des innocents. Poussé par une épine terrible qui l'aiguillonne, il devient un démon, à ce moment-là, il accuse tout le monde, il se fait le grand justicier, il fait une propagande qui soulève les foules.

On peut voir alors de véritables révolutions et de véritables catastrophes entraînées par ces réactions au sentiment de culpabilité qui est lié à la présence chez l'homme d'un facteur spécial très important, qui est la conscience morale

Jacques Chancel : il faut donc se méfier de tous ceux qui disent « j'ai de la haine » ?

Henri Baruk : il faut se méfier et chercher la cause de la haine

Jacques Chancel : et toujours chercher les causes

Henri Baruk : et toujours chercher les causes et toujours faire des enquêtes méticuleuses pour chercher la vérité, ne jamais se laisser impressionner par les mauvaises langues, par les calomnies, par les dénégations, toujours vérifier la vérité dans le culte de la vérité et chercher ce qui est juste. C'est là d'ailleurs la base fondamentale de cette civilisation hébraïque que j'ai tant étudiée et qui sur ce point, apporte des données d'une valeur à mon avis inestimable

Jacques Chancel : vous ne pensez pas, Professeur Henri Baruk, que la calomnie est dans certaines circonstances une forme d'assassinat ?

Henri Baruk : absolument, la calomnie est une forme d'assassinat et c'est tellement vrai que dans la Bible hébraïque, le fait de calomnier quelqu'un et de le faire mourir ainsi, est considéré comme un assassinat et que celui qui a fait mourir quelqu'un par mauvaise langue ou par calomnie doit subir le même sort que ce qu'il a fait au malheureux qu'il a fait mourir, il est passible aussi comme le meurtrier, et c'est ça la fameuse loi du talion, du talion afflictif qu'on a tant critiqué mais qui, a vrai dire, s'exprime très bien sur le plan psychologique

Jacques Chancel : toute votre vie, Professeur Baruk, vous avez été guidé par la tendresse, par la charité et on peut peut-être s'étonner qu'un psychiatre ait comme ça une figure de saint

Henri Baruk : a vrai dire, j'ai été guidé, certes par la tendresse, mais mon père était un homme très énergique qui m'a habitué au contraire à travailler dur et qui ne m’a pas ménagé les difficultés de la vie, je l’en remercie, je lui en suis très reconnaissant. D’autre part, moi-même j’ai connu dès ma jeunesse aussi, des difficultés et des haines que j’ai dû surmonter

Jacques Chancel : des haines ?

Henri Baruk : même l’antisémitisme, même alors que je commençais mes études à l’École de Médecine d’Angers, j’ai vu l’antisémitisme de très près et à ce moment-là j’ai vu ce que c’était que la haine

Jacques Chancel : vous en avez été touché ?

Henri Baruk : je n’ai pas été touché mais j’ai été l’objet de manifestations qui ensuite se sont atténuées et je dois dire que les gens qui avaient cette haine sont devenus ensuite des amis extrêmement dévoués, ils l’ont regretté mais j’ai résisté.

Même pendant la Guerre de quatorze, à un moment donné, me trouvant dans un milieu d’Action Française, on m’a débité des paroles épouvantables contre les Juifs qui se sont arrêtées parce qu’un membre de cette réunion, qui était un ecclésiastique catholique, s’est levé et a dit qu’il me soutenait et qu’il maudissait cette action insensée, par conséquence, je l’ai très souvent rencontrée mais ceci ne me fait pas peur du tout, n’est-ce pas, et à ce point de vue, les haines ne me font pas peur, pas plus qu'à mon père qui disait pendant l’occupation hitlérienne : « j’ai vu des pogroms dans ma vie, il ne faut pas s’en effrayer du tout, la justice finit toujours par triompher »

Jacques Chancel : je disais à l’instant, Professeur Henri Baruk que vous aviez passé toute votre vie dans les asiles psychiatriques, toute votre vie je le dis bien y compris votre enfance puisque votre père avait été psychiatre mais vous auriez pu être traumatisé par cette fréquentation, peut-on tenir dans un milieu comme celui-là si l’on n’est pas bien armé ?

Henri Baruk : mais cette fréquentation dans mon enfance n’avait rien de tragique parce que mon père pratiquait déjà ce qui est mis dans le titre : « Des Hommes comme nous »

Jacques Chancel : oui justement lorsque vous dites « des hommes comme nous », vous dites que les fous sont des hommes comme nous ?

Henri Baruk : absolument

Jacques Chancel : faut-il dire « les fous » entre-guillemets ou bien dire fous

Henri Baruk : non il ne faut pas employer ce mot

Jacques Chancel : alors quel mot employer ?

Henri Baruk : oh, des malades mentaux mais la différence entre les malades mentaux et les hommes dits normaux est très faible, les malades mentaux comme l’avait déjà dit Esquirol, ont les mêmes idées, et les mêmes sentiments, c’est simplement un peu plus marqué, c’est dans le degré, ils savent moins comprimer et dissimuler leurs pensées, c’est tout cela mais ce sont les mêmes pensées, ce sont les mêmes hommes et comme j’ai vécu déjà dans mon enfance au milieu de ces malades avec tant de familiarité qui pour mon père, et ma mère qui les aimait beaucoup aussi, étaient des hommes comme nous, je n’ai jamais été traumatisé et j’ai tout de suite été très facilement à l’aise, de ce point de vue évidemment les rapports entre médecins et malades sont extrêmement importants. Il y a quelqu’un qui a écrit que ces rapports devaient être modifiés, et qu'à coté de l’ancienne conception dans laquelle le médecin était un ami au service du malade, tout devrait être changé, et se faire sous l'angle de la subordination, le malade devant s’incliner devant le détenteur…

Jacques Chancel : le médecin tout-puissant

Henri Baruk : le médecin tout-puissant, j’ai vivement attaqué une telle conception, je reste fidèle obstinément au "médecin ami au service du malade" quelles que soient les réactions du malade même si celles-ci sont violentes et agressives, il faut savoir les supporter

Jacques Chancel : on comprend vite, Professeur Baruk que vous ne démissionnerez pas de sitôt, vous avez 79 ans mais vous exercez toujours, et il faut rappeler que votre père lui, est mort centenaire

Henri Baruk : à la fin de sa 103e année

Jacques Chancel : il y a encore de l’espoir pour vous

Henri Baruk : je ne sais pas si j’aurai sa vitalité, en tout cas il a donné un grand exemple

Jacques Chancel : des Hommes comme nous c’est pour persuader les autres qu’il faut les considérer de cette manière ?

Henri Baruk : il faut surtout ne jamais voir un malade du haut de sa grandeur de bien portant, le bien portant est une situation fragile, l'homme malade est un homme comme nous qui souffre et tout le monde peut devenir comme lui, il faut garder à l’homme malade sa dignité, pas même le voir de haut et pas même surtout s’inspirer d'un impérialisme médicale et psychiatriques que je combats plus que tout. Le malade, c’est pour ça que j’ai mis à la fin de mon livre cette maxime hébraïque très importante soutenir ceux qui tombent et ne pas les accabler c'est à la base de la médecine et à la base de la psychiatrie  avec le malade...

 

Transcris par Danilette, suite demain pour ceux que le sujet intéresse.

Publié dans Monde juif, France, Tikoun Olam

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C
Merci ! <br /> Avez-vous finalement publié la suite quelque part ? Où est-ce ?
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D
voir aussi cet article : http://www.danilette.com/article-une-loi-juste-la-torah-professeur-henri-baruk-117822908.html
D
Non, je n'ai pas publié la suite mais je pourrais peut-être l'envisager...
B
<br /> Très intéressant ! J'ai entendu parler du Pr Baruk (avec admiration) par une parente qui était sa patiente. Et ce texte mérite bien l'admiration... A suivre ?<br />
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D
<br /> <br /> je viens seulement de voir votre com, mille excuses donc pour le retard !<br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> il faut que tu ecrives en plus gros mettre un commentaire....ET TU DOIS ECRIRE UN LIVRE .....<br />
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M
<br /> Je souhaite vivement pouvoir lire la suite !<br /> <br /> <br /> Merci pour tout ce que vous faites. Très amicalement.Myriam , de Jérusalem,Israel.<br />
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D
<br /> <br /> Alors je vais essayer de le faire pour vous !<br /> <br /> <br /> Ma mère est une Israël... nous sommes peut-être parentes...<br /> <br /> <br /> <br />
P
<br /> La suite à demain ? <br />
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D
<br /> <br /> Je n'ai pas eu suffisamment de lecteurs intéressés...<br /> <br /> <br /> <br />