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Une initiative abracadabrantesque

La France vient de lancer un plan pour résoudre le conflit israélo-palestinien dont il est impossible de comprendre la logique si l'on ne prend pas en compte la préparation de la présidentielle de 2017
Lors de ses vœux au corps diplomatique, le 29 janvier, Laurent Fabius avait évoqué une initiative française pour "faire aboutir, si c'est possible, une solution à deux états." Il s'agissait dans son esprit de réunir une vaste conférence internationale à Paris, le projet étant bien entendu endossé par François Hollande. En cas d'échec la France reconnaîtrait l'état de Palestine. La proposition revient en gros à la création d'un état palestinien suite à une conférence imposant le retrait d'Israël sur les lignes de 1967, c'est-à-dire l'évacuation de la Judée et de la Samarie et la division de Jérusalem.
 
 
Mardi dernier, le 16 février, l'initiative franchissait une étape décisive. Un diplomate, Patrick Maisonnave, était dépêché à Jérusalem pour la présenter aux responsables israéliens. En même temps, vingt ambassadeurs étaient envoyés avec le plan à Londres, Berlin, Moscou, dans toute l'Europe, aux États-Unis et dans de nombreux pays arabes. Ramallah avait eu droit quelques jours avant à la primeur du plan.
Ce déploiement constituait la première étape du dispositif. Il devrait être suivi de deux autres temps forts: la réunion à Paris d'un groupe international de plusieurs dizaines de pays sans les protagonistes (Israël et l'Autorité palestinienne) en mars, et une seconde réunion internationale en juin ou juillet, avec les protagonistes, pour lancer la reprise des négociations.
 
Cette initiative française est tout à fait surprenante:
 
1) Elle intervient à un moment où l'attention de tous les pays du monde est concentrée sur les développements militaires angoissants du théâtre syrien. Pour faire obstacle à l'avancée des Kurdes syriens, les Turcs ont lancé des bombardements visant à stopper la progression de la coalition russo-iranienne dans la région d'Alep. L'Arabie saoudite menace d'envoyer ses forces spéciales, et en arrière plan, Daech regroupe ses moyens. En quelque sorte la guerre s'enflamme. Nul n'a la moindre idée d'une solution possible. Pourquoi la France choisit-elle ce moment pour de grandes manœuvres sur l'arène secondaire et relativement stabilisée du conflit israélo-palestinien?
 
2) En assortissant sa proposition de la menace d'une reconnaissance de l'état palestinien en cas d'échec de la conférence, Paris donne aux Palestiniens toutes les raisons de provoquer l'échec de tout le processus, du moins de ne pas faire la moindre concession. En cas d'échec, ils gagneraient automatiquement la reconnaissance qu'ils recherchent, ils le savent d'emblée.
 
3) Étrangement Paris n'explicite pas la raison d'être de "la solution à deux états," qui est d'établir à tout jamais une coexistence pacifique entre Israéliens et Palestiniens. Il aurait dû dire, et il ne dit nulle part, que l'état palestinien ne pourra pas être un état voyou de plus dans la région, qu'il devra accepter la fin irrévocable du conflit, qu'il devra reconnaitre la légitimité inconditionnelle de son voisin, l'état juif, et qu'il devra être préservé de toute interférence de l'islam radical contemporain incarné par Le Hamas, l'état islamique, l'Iran, Al Qaïda, etc... Pourquoi la France laisse-t-elle ces aspects décisifs dans le flou?
 
4) Étrangement, Paris passe sous silence, les refus de négocier affirmés, réitérés, de tous les Palestiniens qui s'expriment sur la scène publique depuis la rupture d'avril 2014 au moins. Il passe aussi sous silence les demandes de négociations réitérées, incessantes, de la partie israélienne. Rappelons l'exhortation de Netanyahou à la tribune de l'ONU, le 1er octobre2015 : "Nous devons à nos peuples d'essayer, d'essayer encore. Ensemble, négocions réellement et cessons de négocier sur la négociation. Asseyons-nous réellement autour d'une table et tentons de résoudre les problèmes qui nous divisent. Reconnaissons-nous mutuellement..."
 
5) étrangement, Paris fait mine d'être convaincu que les retraits israéliens sont les clés de la paix. Une paix que la France officielle dit rechercher pour désamorcer le conflit planétaire entre l'islam et l'Occident. Paris sait que le retrait du Liban-sud orchestré par Ehoud Barak en juin 2000 a crée un vide rempli par le Hezbollah et qu'il a persuadé Arafat qu'Israël était faible et qu'une Intifada armée lui donnerait la victoire. D'où l'insurrection de septembre 2000 et le front de guerre établi durablement au nord d'Israël. Paris sait aussi que le retrait de Gaza a créé un vide rempli par les djihadistes du Hamas et provoqué trois guerres sanglantes. Il ne faut pas avoir fait de longues étude pour prévoir aujourd'hui qu'en cas de retrait israélien, la Judée et la Samarie se couvriraient de djihadistes, de missiles, et de tunnels offensifs, à un jet de pierre des centres économiques, démographique et de pouvoir d'Israël. Guerre et déstabilisation générale assurés.
 
6) Étrangement, Paris ne voit pas à quel point son projet tombe mal pour la communauté internationale, même s'il provoque des hochements de tête polis.
 
En janvier, les états-Unis avaient répondu à Fabius en confirmant leur attachement à une solution négociée, le contraire du plan imposé de Paris. En effet, on peut pense qu'Obama n'a nulle envie d'empoisonner la candidature démocrate aux présidentielles en ouvrant un nouveau front avec Israël. Il ne désire pas non plus compliquer encore l'équation déjà redoutable du Moyen-Orient.
 
Il en est de même de l'Allemagne. Le 16 février, le jour même de la grande offensive diplomatique, s'adressant à Netanyahou, Angela Merkel s'est démarqué du plan français en déclarant: "Ce n'est certainement pas le moment, aujourd'hui, de faire des progrès pour résoudre le problème dans son ensemble, mais vous devez améliorer les choses dans certains domaines... en particulier sur les questions du développement économique."
 
Nous ne connaissons pas les réactions officielles arabes, à part la vive satisfaction de Ramallah. Mais on sait que les Arabes ont vraiment d'autre chats à fouetter aujourd'hui que les Palestiniens. Ils sont terrifiés par l'offensive iranienne sur tous les fronts et l'intrusion de l'armada russe au cœur de l'aire sunnite. Israël est aujourd'hui pour eux une alliance,  une carte précieuse. En aucun cas la vieille politique arabe ne saurait justifier l'initiative de François Hollande puisque aujourd'hui c'est l'Iran qui obsède les Arabes, pas Israël. La déclaration à Téhéran du dirigeant palestinien historique, Abbas Zaki, partisan d'un Iran fort n'a certainement pas manqué d'attiser leur colère envers Ramallah.
 
Voila donc la France qui lance une initiative internationale au plus mauvais moment, qui essuie d'emblée le refus des États-Unis, puis de l'Allemagne, qui n'intéresse pas les Arabes, et qui last but not least, ouvre le plus sûr chemin pour embraser les rares espaces sous contrôle du Moyen-Orient.
 
Quelle est donc sa logique? Peut-être faut-il changer de perspective. Un point a été négligé jusqu'ici. Il s'agit de l'impact de l'initiative diplomatique sur la politique intérieure française. C'est sans doute là que se trouve la clé de l'énigme
 
Nous sommes dans une phase pré-électorale. Nul n'ignore que le président actuel prépare sa réélection et qu'il y consacre beaucoup de son temps. Il n' a certainement pas oublié qu'il a pu gagner en 2012 grâce à son score exceptionnel dans l'électorat musulman, qui a voté pour lui entre 83 et 95 % selon les instituts de sondage. Or la sensibilité de cet électorat a été très contrariée par le "mariage pour tous" et par les frappes aériennes en Syrie et en Irak. Il faut regagner cet électorat, au moins en partie. François Hollande sait aussi que la gauche de son parti, les "frondeurs", l'extrême gauche mélanchonniste et les Verts, qui lui ont ouvert la porte de l'élysée, sont profondément hostiles à sa politique économique. Comment leur tendre la main?
 
Dans ce contexte, le lancement d'une grande campagne internationale antisioniste fait figure de providence pour le candidat à la réélection. Une telle campagne est le moyen le moins coûteux d'activer les vieux ressorts post-marxistes et post- coloniaux, et disons-le, les penchants antisémites traditionnels de ces secteurs de l'opinion. La mise en cause d'Israël ne manquerait pas de provoquer de la sympathie et même de l'enthousiasme dans une bonne part de l'électorat musulman, de même qu'une joie profonde dans la mouvance de la gauche de la gauche. L'initiative "Fabius", reviendrait en fait à opérer le recyclage et la récupération des votes égarés par quatre ans de présidence contestable.
 
Il y a quelque chose de pathétique pour la France à voir l'instance politique s'affaisser dans le calcul électoral avec beaucoup de bassesse au moment où les menaces de tous ordres pèsent aussi lourdement sur le pays.
L'étrange initiative de Laurent Fabius, Jean-Pierre Bensimon
Tag(s) : #Jean-Pierre Bensimon, #France, #Conflit israélo-arabe
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