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Cet article est traduit en italien ici, et en anglais ici 

 La Turquie s'embrouille 

La semaine dernière, nous avons traité dans cette tribune de la tension croissante entre Sunnites et Chiites au Moyen-Orient et des coalitions hostiles qui sont le reflet des tensions ethniques :

 

D’une part, une coalition chiite composée de l’Iran, l’Irak et du Hezbollah qui aide le régime sanguinaire alaouite proche des Chiites, et d’autre part une coalition sunnite formée de la Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar avec le soutien de plusieurs autres pays en arrière plan, en particulier la Jordanie et l’Égypte. C’est la guerre du Gog chiite contre le Magog sunnite qui a commencé en mars 2011 sur le territoire de l’ancienne Assyrie, la Syrie moderne. 

 

Aujourd’hui nous porterons notre attention sur l’alliance triangulaire constituée par les Turcs, les Kurdes et les Égyptiens, fondée sur des intérêts fluctuants où l’on voit que :

 

L’ennemi de mon ennemi n’est pas nécessairement mon ami, l’ami d’hier peut devenir l’ennemi d’aujourd’hui, les slogans et les menaces ne se traduisent pas forcément par des actes, des puissances régionales se menacent l’une l’autre, l’économie d’hier n’est pas l’économie d’aujourd’hui, et les perspectives d’avenir démentent les prévisions du passé.

 

Le bloc régional qui avait été conçu par Erdogan et Devotuglu s’effondre sur la tête des Turcs qui ne voient plus en Erdogan l’adjoint tout-puissant du bon dieu. Dans sa détresse, il cherche de nouveaux amis mais hélas ceux-ci s’avèrent être des mendiants misérables. Dis-moi qui tu fréquentes et je te dirai qui tu es.

 

Le marasme syrien est en train de couler le régime d’Assad dans le sang, le feu et les larmes mais il risque d’entraîner la Turquie dans le tourbillon de sa noyade. Il est clair pour tout le monde que ce régime va tomber mais qui va récupérer ce qui restera de la Syrie ?  Qui se sortira de cette guerre intégrale avec le moins de dommages possibles dans ce pays naufragé ? Et qui est capable de parier aujourd’hui sur le cheval qui demain sera gagnant ou sera mort ?

 

Les Kurdes – les grands gagnants

 

À la suite de la Première Guerre mondiale, quand le Moyen-Orient a été partagé en différents états sous influence européenne, les Kurdes ont été oubliés, abandonnés et trahis. Ils ont été répartis entre quatre pays : l’Irak, la Syrie, la Turquie et l’Iran. Personne n’a pris en compte leurs aspirations nationales, croyant qu’ils y renonceraient. L’oppression dont ils ont souffert dans ces quatre pays, le fait d’avoir une langue et une culture à part les ont maintenus dans une unité ethnique vivante et active, porteuse d’une aspiration d’unité et d’indépendance qui s’est exprimée, au cours des années, par une lutte sanglante pour leur liberté. Mais le sectarisme et le tribalisme qui existent au sein des Kurdes ne les ont pas aidés à atteindre leurs objectifs communs.

 

Le printemps kurde a commencé il y a vingt-deux ans lorsqu’on a imposé à Saddam Hussein une zone d’exclusion aérienne sur la région kurde de l’Irak. Les cieux affranchis d’ennemis ont permis aux Kurdes de développer des dispositifs sociaux et politiques qui ont créé le Kurdistan irakien indépendant avec son drapeau, ses partis politiques, ses média, des élections, un parlement, un gouvernement, un système économique et surtout les « Peshmergas » soldats téméraires qui protègent les accomplissements kurdes. Le Kurdistan irakien profite depuis de nombreuses années de son indépendance sous le parrainage des États-Unis, au grand dam de la Turquie. En effet, le Kurdistan irakien est devenu une base pour l’organisation, la formation et l’armement du « Parti des Travailleurs du Kurdistan », le PKK, qui conduit une guerre sanglante contre le gouvernement turc.

 

L’indépendance que le Kurdistan irakien a réussi concrètement à mettre en œuvre, en particulier depuis la chute de Saddam Hussein en 2003, a encouragé et incité les Kurdes de Turquie à lutter aussi pour leur indépendance. La dégradation du fonctionnement du gouvernement syrien depuis mars 2011 a conduit à l’idée d’indépendance chez les Kurdes de Syrie qui vivent pour la plupart dans la région de Hasaké dans le nord est du pays qui est proche du Kurdistan irakien et kurde.

 

Au cours des derniers mois, beaucoup de Kurdes sont passé de Syrie en Irak pour s’entraîner et s’organiser en unité de combat dans des camps de l’armée kurde (des Peshmergas) pour ensuite retourner en Syrie protéger leurs familles. Lorsque les Kurdes syriens aussi réaliseront leurs rêves de liberté, alors Erdogan devra faire face à trois fronts kurdes, en Irak, en Syrie et chez lui en Turquie. Il désire la chute d’Assad tout en négligeant ce qui se passe déjà sur le terrain : le fractionnement de la Syrie et l’éclosion d’un nouveau Kurdistan, syrien celui-là.

 

La Turquie fournit une aide aux rebelles syriens mais Assad, pour se venger, aide les Kurdes turcs du PKK qui se révoltent contre Erdogan. En retour, les combattants de la résistance kurde participent avec l’armée syrienne aux durs combats d'Alep, et l’alliance entre Assad et le PKK est aux yeux des Kurdes de Syrie une horreur.

 

La vérité est révélée

 

Depuis que le parti islamiste « de la Justice et du Développement » est arrivé au pouvoir en Turquie il y a dix ans il a recentré la politique étrangère de la Turquie vers l’Orient : les relations avec la Syrie, l’Irak et l’Iran ont prospéré et Israël en a payé le prix. La politique du « zéro conflit » conçu par le Ministre des Affaires étrangères Devotuglu, était censée conférer à la Turquie un statut de grande responsabilité, en tant que médiateur régional et artisan de paix, qui serait en mesure de récompenser par des rétributions financières alléchantes. Au cours de cette période, la Turquie abroge l’obligation de visas pour les citoyens syriens, Erdogan et Assad sont photographiés qui s’embrassent en souriant, l’économie turque prospère avec une croissance annuelle incroyable de 8 %, tout va bien jusqu’à fin 2010.

 

Le problème nucléaire iranien et l’enchaînement de catastrophes que les peuples du Moyen-Orient ont eux-mêmes engendrées et qu’on appelle « le printemps arabe », ont mis la Turquie dans une situation plutôt sombre : l’Iran aggrave son conflit avec l’Occident et souffre des sanctions mais la Turquie ne réussit pas à servir de médiateur et à concilier les positions. La proposition d’Erdogan de stocker en Turquie l’uranium enrichi iranien est restée une proposition en l’air. La détérioration de la situation en Syrie augmente les tensions à l’intérieur de la Turquie entre les Kurdes et les Turcs et entre les Turcs musulmans et aléwis et le poids de cent mille réfugiés syriens pèse sur l’économie turque.

 

Les appels répétés des dirigeants turcs à instaurer une zone d'exclusion aérienne au-dessus des villes sont restés lettre morte et personne ne les a pris au sérieux. L’Iran a menacé la Turquie de l’attaquer si elle intervient en Syrie bien que les entreprises turques l’aide à contourner les sanctions internationales qui pèsent sur elle.

La Russie protège l’Iran et les États-Unis ne se portent pas volontaires pour épauler la Turquie gouvernée par un parti islamiste bien qu’ils aient décidé d’y installer le système radar pour protéger l’Europe des missiles balistiques iraniens.

Les complications avec Israël qui a refusé de présenter des excuses pour la mort de neuf citoyens turcs sur le Mavi Marmara, tout cela montre la faiblesse du leadership turc.

 

L’économie turque est en chute avec les investissements étrangers en baisse et une forte inflation ; l’Europe en crise achète moins de produits fabriqués en Turquie et le marché arabe n’existe plus. L’Iran fournit du pétrole et du gaz à la Turquie mais les tensions entre les deux pays menacent leurs relations économiques. Le besoin en énergie pousse les dirigeants turcs à faire pression sur Israël et sur Chypre pour qu’ils l’incluent dans le partage des réserves de gaz en Méditerranée mais l’Europe ne soutient pas cette demande turque. Quant aux relations entre la Turquie et l’OTAN, il y a des ombres : la Turquie n’a pas encore oublié ni pardonné à l’Europe son refus de l’accepter dans l’Union Européenne mais avec du recul cela lui a évité de devoir participer à l’aide économique à la Grèce. La Turquie n’aide pas l’OTAN en ce qui concerne le problème afghan comme elle n’avait pas aidé les pays occidentaux à envahir l’Irak en 2003.

 

La crise en Syrie révèle la vérité concernant le gouvernement turc qui s’est placé à l’avant-garde du front sunnite contre les chiites et contre l’Iran. Le massacre de Musulmans par des Alaouites met Erdogan hors de lui et chaque semaine il profère des menaces contre Assad et son régime. Mais jusqu’à présent les discours ne se sont pas traduits concrètement par une action militaire directe et le soutien se réduit en coulisse à une aide à l’opposition syrienne, à la fourniture d’armes, d’équipement et de fonds à l’ALS, à l’établissement de bases d’entraînement pour les rebelles syriens et à la transmission de renseignements militaires sur les mouvements de l’armée d’Assad et les plans d’opérations militaires.

 

La Turquie est aspirée dans le vide de plus en plus grand laissé par le gouvernement syrien, d’un côté elle agit pour faire tomber le gouvernement d’Assad et les Alaouites, mais d’un autre côté elle ne veut pas l’éclatement de la Syrie. Erdogan, comme Netanyahu, craint que des armes de destruction massive ne tombent entre des mains irresponsables et dans ce contexte s’inquiète de la présence du Hezbollah et des gardiens de la révolution iranienne en Syrie. Le parlement turc a donné son feu vert au gouvernement pour qu’il déclenche une guerre contre le régime d’Assad et Erdogan parle de la guerre contre la Syrie comme étant imminente. L’avion turc abattu au mois de juin, les rumeurs à propos de l’élimination de sang-froid des deux pilotes, les affrontements à la frontière entre les deux pays qui ont tué des civils et des soldats des deux côtés tout cela peut conduire à une détérioration et entraîner un affrontement plus important avec de lourdes pertes auquel cas Assad se battra dans une logique jusqu’au boutiste comme Samson lançant le cri « que je meurs avec les Philistins ».

 

Mais Erdogan possède une autre raison l'incitant à éviter la confrontation avec la Syrie, cette raison c’est l’armée. Une grande proportion de l’armée turque est constituée de soldats kurdes qui pourraient refuser de se battre et même faire du sabotage contre le matériel militaire turc ou les opérations de l’armée turque s’ils pensent que cela menace l’intérêt des Kurdes. Les soldats kurdes ne se battront pas contre leurs frères en Syrie pour les empêcher d’avoir un État. D’une manière générale, on ne sait pas si l’armée turque est suffisamment motivée pour aller faire la guerre sur le sol syrien.

 

L’opposition turque accuse Erdogan d’être responsable de la détérioration des relations avec la Syrie dans l’objectif de faire et gagner la guerre avant les élections présidentielles de 2014. L’opposition accuse également Erdogan d’avoir l’intention de modifier la constitution pour instaurer un régime présidentiel avec un pouvoir d’action comme aux États-Unis et en France. La guerre contre l’armée syrienne à bout de souffle, apporterait une victoire assurée à Erdogan sur le champ de bataille et dans les urnes. Il récuse évidemment ces accusations de vouloir entraîner la Turquie dans la guerre pour sa promotion personnelle.

 

Le rôle de l’Égypte

 

Au milieu de tout ce désordre régional dans lequel Erdogan a entraîné la Turquie, il est à la recherche d’amis à qui demander conseil et qui peuvent l’aider. L’Égypte des Frères Musulmans est un choix naturel. Les forces navales turques et égyptiennes procèdent actuellement à un exercice conjoint. L’exercice, baptisé « mer de l’amitié », se déroule en Égypte. Les forces navales turques participent à l’exercice avec deux frégates, des bateaux d’attaque rapide, un pétrolier, deux pistes d’atterrissage, deux hélicoptères, un bataillon d’infanterie et une équipe de commandos de la marine. C’est la deuxième fois que les forces navales égyptiennes et turques pratiquent un exercice ensemble. L’objectif déclaré de cette opération est de développer la coopération et la capacité d’action conjointe des deux marines.

 

Il y a quelques jours, le 6 octobre le président Morsi a pris la parole devant des dizaines de milliers de militaires à l’occasion des trente-neuf ans de la « victoire » de la guerre d’octobre et pour marquer les 100 jours de sa prise de fonction. Il reconnaît les problèmes économiques de l’Égypte, qui la rendent dépendante de la bienfaisance des autres et la forcent à pratiquer une politique qui n’est pas conforme avec l’idéologie des Frères Musulmans. Pour accéder à plus d’indépendance, il a demandé et obtenu de la Turquie une aide économique d’un milliard de dollars.

 

Morsi a présenté ses réalisations depuis son arrivée au pouvoir fin juin en tant que premier président de l’Égypte élu librement mais a aussi insisté sur les difficultés devant lesquelles se trouve l’Égypte.

 

Cependant les critiques disent que Morsi n’est pas parfait et que gagner des élections ne garantit pas un fonctionnement correct. Ils l’accusent d’avoir nommé des proches en vertu de leur fidélité aux Frères Musulmans et non de leurs compétences. L’événement du 6 octobre comprenait un défilé militaire marquant l’anniversaire de la guerre de 1973 entre l’Égypte et Israël, et une démonstration de force des Frères Musulmans face à leurs adversaires de l’intérieur et de l’étranger.

 

Morsi a déclaré avoir atteint 70 % de ses objectifs. L’Égypte a demandé au FMI un prêt de presque 5 milliards de dollars pour l’aider à renforcer son économie, mais les responsables du FMI exigent comme condition une réorganisation du système de subventions. Cela signifie une augmentation des prix qui pourrait créer des tensions entre le gouvernement et la population. Morsi préfère obtenir des prêts sans avoir à imposer à la population des prix élevés pour les produits alimentaires de base. Il a accusé le régime de Moubarak d’avoir détourné des milliards appartenant à la nation mais Morsi a été élu pour résoudre les problèmes et non pas pour s’en plaindre et il ne pourra pas continuer à accuser Moubarak très longtemps.

 

Pour Morsi, la Turquie est un modèle de réussite : un gouvernement islamiste, une société traditionnelle, une économie développée, une grande et forte armée, un statut international et des liens d’amitié aussi bien avec l’Orient que l’Occident. Il y a entre Morsi et Erdogan des désaccords en ce qui concerne la Syrie : alors que Morsi déclare tout le temps qu’il ne faut pas d’ingérence étrangère en Syrie, Erdogan appelle lui, à une intervention internationale. Cependant, tous les deux affrontent avec beaucoup de sérieux l’aggravation de la situation en Syrie, toutes les deux s’émeuvent des horreurs qui se produisent en Syrie devant les caméras.

 

Tous les deux sont des musulmans sunnites à la tête de pays sunnites et craignent le rôle joué par l’Iran chiite en Syrie en particulier, et au Moyen-Orient en général. Ils craignent le programme nucléaire iranien, la subversion iranienne, et la capacité de l’Iran à déstabiliser des gouvernements de l’intérieur pour prendre le contrôle d’un pays comme au Liban et en Irak.

 

Tous les deux contrôlent des passages maritimes internationaux, le Canal de Suez en Égypte et le Bosphore et les Dardanelles en Turquie, et tous les deux ont la capacité de gêner les mouvements maritimes de la coalition chiite, de l’Iran et la Russie en route vers la Méditerranée pour aider le régime syrien. Cela explique sans doute que l’exercice conjoint entre l’Égypte et la Turquie est un exercice maritime et non pas terrestre.

 

Il est difficile de savoir si le lien croissant entre l’Égypte et la Turquie va changer l’équilibre des forces régionales mais il faut en tenir compte par exemple pour le blocus maritime israélien sur la bande de Gaza. Que va faire Israël si Morsi et Erdogan décident d’instrumentaliser une opération d’aide humanitaire à Gaza pour s’attirer un capital de sympathie aux dépens d’Israël et utilisent des bateaux de la marine des deux pays ? Que fera alors l’OTAN ? Et les États-Unis ?

Traduit de l'hébreu par Danilette


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mise à jour 12h58

Tag(s) : #Mordechai Kedar, #Kurdes, #Syrie
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