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Au moment où la France s’interroge sur son identité et son avenir, il faut rappeler que les Juifs font partie de son histoire. Une grande enquête d’Hamodia, dont voici le premier volet.

Éliézer de Beaugency : ce nom fait rêver. On imagine un seigneur du Moyen Âge, à l’armure rutilante. Ou peut-être même, pendant la guerre de Cent Ans, un compagnon du dauphin de Bourges, ce fils de Charles VI qui ne régnait plus que sur le centre et le midi de la France, avant que Jeanne d’Arc ne le fît sacrer roi de France à Reims, sous le nom de Charles VII, et ne lui permît ainsi de reconquérir peu à peu l’ensemble de ses États. Une comptine populaire, remontant à cette époque, ne dit-elle pas : 

« Mes amis que reste-t-il
À ce dauphin si gentil ?
Orléans, Beaugency,
Notre-Dame de Cléry,
Vendôme, Vendôme… »

Seigneur, Éliézer de Beaugency le fut assurément : mais dans un autre ordre. C’était un Juif, un rabbin, un tossaphiste. Il vivait au XIIe siècle, en France du Nord : né à Beaugency, dans le Loiret actuel, il séjourna successivement dans plusieurs autres villes et bourgades. Comme Rachi, dont un petit-fils, le rav Chemouel ben Méїr, fut son maître, il excellait dans l’exégèse biblique. Comme Rachi, il traduisait souvent en langue d’oïl - le français archaïque parlé au nord de la Loire - les termes hébraïques les plus difficiles. 

On tend trop souvent à présenter les Juifs français du XXIe siècle comme des immigrés récents, venus d’Europe de l’Est, d’Afrique du Nord ou du Levant. Et à faire commencer leur histoire en 1789, avec la Révolution et la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Rien de moins vrai. Les Juifs se sont enracinés en Gaule dès l’époque romaine, au 1er siècle de l’ère chrétienne. Au IIIe siècle, ils ont constitué d’importantes communautés dans le Midi ou en Rhénanie. Au IVe siècle, ils sont solidement établis à Lutèce, la capitale de l’empereur Julien II. Quand Éliézer de Beaugency enseigne la Torah et rédige ses gloses, il a derrière lui plus d’un millénaire de judaïsme gallo-romain puis français. Un long Âge d’Or, où les Enfants d’Israël, considérés comme des « citoyens romains » et bénéficiant, dans le cadre du droit public hérité de Rome, d’un statut de « religion licite », se situent juste en dessous de la noblesse. Ce qui leur a assuré une prospérité aussi bien spirituelle que matérielle.

L’Atlas Etz-Hayyim, un ouvrage publié en 1978 à Jérusalem par le rav Raphaël Halpérin, retrace toutes les filiations familiales - de père en fils ou gendre - ou spirituelles - de maître à élève - des Richonim : les rabbins qui ont dirigé le peuple juif entre les Xe et XVe siècles. Les pages consacrées à « Tsarfat », la France du Nord, et à « Prouvens », la Provence ou Occitanie, sont les plus denses du livre, éclipsant parfois « Séfarad », la péninsule ibérique. Nombreux, parmi les rabbins français et provençaux, sont ceux qui portent un nom de lieu, pour ne pas dire un nom à particule, comme Éliézer de Beaugency : signe du prestige qu’ils détenaient auprès de leur communauté, ainsi que du voisinage et des pouvoirs non-juifs, mais aussi de l’importance de leur yéchiva. De Samson ben Joseph de Falaise (Normandie) à Abraham ben David de Posquières (Languedoc), en passant par Moïse de Coucy (Île de France).

Mais derrière ces noms, derrière les ouvrages que ces maîtres ont laissés et les communautés qu’ils ont animées, il y a aussi, dans le sol et le paysage français, leurs traces matérielles, qu’une nouvelle discipline historique, « l’archéologie du judaïsme », veille à retrouver. Jusqu’au XIIIe siècle, les Juifs étaient propriétaires fonciers, tout comme les Chrétiens. D’où l’existence, à travers la France, de milliers de « Champs aux Juifs », « Prés aux Juifs », ou « Bois des Juifs ». Et en ville, de rues « des Juifs », « de la Juiverie », « de la Synagogue ».

 

On savait depuis le XIXe siècle que les communautés juives formaient une partie importante (10 % en moyenne) de la population urbaine médiévale en France et dans la plupart des autres pays d’Europe occidentale. Mais l’on ne mesure que depuis peu, grâce à l’essor de l’archéologie du judaïsme, ce que cela signifiait.

Jusqu’au XIIIe siècle, les Juifs se dotaient de bâtiments aussi imposants que ceux de leurs compatriotes chrétiens, exception faite des cathédrales. Les nefs des synagogues pouvaient atteindre une hauteur de vingt-cinq mètres. Les yéchivot disposaient de locaux aussi spacieux que les premiers collèges universitaires. Les bains rituels étaient aussi fonctionnels – et souvent plus nombreux – que ceux d’aujourd’hui. Confisqués par la suite, ces édifices furent transformés en églises, couvents, sièges de l’administration royale, casernes, forteresses, démolis en partie, rebâtis. Mais leurs vestiges réapparaissent sans cesse de nos jours, lors d’aménagements urbains ou de réfection de monuments historiques.

Certes, l’Âge d’Or médiéval français finit dans les persécutions et les exils. Mais ces désordres et ces violences touchèrent bien d’autres Français : Cathares, Occitans, marchands dits « Lombards » ou Templiers. Dans diverses régions, notamment l’Est et Avignon, les Juifs se maintinrent. Et même là où ils furent chassés, de 1396 à 1501, ils ne tardèrent pas à revenir. En tant que « Juifs pérégrins », hôtes étrangers, mais privilégiés, placés sous la protection du roi. Puis, dès 1559, en tant que « régnicoles », habitants légitimes de terres rattachées à la Couronne. Sans parler des Marranes ibériques, nombreux à Paris et dans les grands ports. L’un dans l’autre, le judaïsme n’a jamais quitté la France.

Tag(s) : #Histoire - archéologie, #Michel Gurfinkiel, #France, #Monde juif
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