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Couverture de Nom de Dieu : par-delà les trois monothéismesVoici un extrait du livre très intéressant de Daniel Sibony : "Nom de Dieu : par delà les trois monothéismes" qui nous livre des clés essentielles pour comprendre les relation entre l'islam et les autres religions et cultures :


"Que Dieu soit une question trop sérieuse ou trop vivante pour être laissée aux religieux, c’est ce que suggère l’histoire présente qui ramène sur la scène du monde des choses cachées entre les lignes de vieux Textes.
On peut montrer que l’idée de Dieu fonctionne pour beaucoup, religieux ou pas, et pas seulement comme rapport au Père symbolique (selon le vœu de Freud qui a un peu réduit les choses). 

Elle fonctionne comme rapport à l’être, ou à ce-qui-nous-fait-être, qu’on l’appelle Vie, Cosmos, Raison, Histoire, Inconscient, ou Dimension symbolique… On constate en tout cas qu’elle fonctionne comme symbole-recours, pour le sujet en détresse ou dans un état limite, quand il n’a plus rien d’autre à appeler, ou plus personne ; il recourt à cet appel, sans y mettre forcément (comme le pensent les athées) un Bureau céleste qui enregistre les appels et qui les traite.


De là à dire que tous ces noms et toutes ces appellations, contrôlées ou pas, auxquels on peut joindre YHVH, Jésus, Allah…, de là à dire que tous ces noms de Dieu reviennent au même, il n’y a qu’un pas qu’il vaut mieux ne pas franchir. Le gain qu’on y trouverait, qui sent la grosse émotion fusionnelle du genre : « Allez, on a tous le même Dieu malgré toutes ces bagarres idiotes que suscitent les fanatiques de tout poil ! », ce gain est mince et de façade par rapport à la confusion qu’il suppose, ou qu’il entretient, à des fins de fraternité improbable car bien souvent on s’entre-tue parce qu’on est… trop proche ; et la haine du presque-même est plus forte que la haine du tout-autre.

 

On pourrait dire qu’en un sens ce qu’on nomme Dieu c’est le chemin de chacun vers les limites de son être-au-monde, notamment vers les replis de son insu, mais aussi vers la transmission symbolique dont il relève, qui le précède et le traverse. Et l’intérêt, c’est de voir de plus près le rapport de chacun ou de chaque groupe à ce qui fonctionne comme son Dieu.


Là-dessus, du côté des monothéismes, on connaît les trois clichés obligatoires : le Dieu des juifs est implacable, il brandit la loi et il (se) venge ; le Dieu chrétien est plein de grâce et d’amour ; le Dieu de l’islam, Allah, plein de miséricorde, et il exige de ses fidèles une totale soumission.
Clichés grossiers.

 

La réalité – des pensées, des Textes et de leur transmission – est bien sûr plus complexe. Les trois monothéismes ont pour noyau la vieille Bible, celle-ci promeut un Dieu aux nombreux noms, dont le plus important, YHVH, est l’anagramme de l’être conjugué aux trois temps, passé, présent et avenir. Ce Dieu biblique est un Dieu d’amour et de haine, de violence et de douceur, de vengeance et de pardon…, bref infiniment multiple comme l’être ; et tout comme l’être, il est Un. En « pratique », il fonctionne comme rapport à l’être, qui ne dit jamais son dernier mot.

 

Même du point de vue chrétien, ce Dieu-YHVH est plein d’amour puisque c’est par amour qu’il a envoyé son Fils se sacrifier pour les hommes. A entendre : pour prendre sur lui leurs manquements et leur apporter la grâce face à la loi qui juge leurs fautes et leurs ratages. Telle est l’innovation chrétienne : une partie-homme de Dieu ou un Dieu-homme qui prend sur lui toutes nos fautes. En principe, on aurait dû baigner dans la grâce, mais voilà : par un curieux effet de retour, les nouveaux fidèles, toutes les fois qu’ils ont envie de pécher, c’est-à-dire souvent, comme tout le monde, se retrouvent de ce fait même être des « tueurs » potentiels de Jésus, puisqu’il est mort… pour leurs péchés. Paradoxe d’une religion qui devait ramener l’innocence et qui sème à haute dose la culpabilité ; par un simple effet de langage.

 

Mais allons vite, et venons-en à ce qui caractérise l’apport du Coran, plus précisément à cette question simple : qu’est-ce qui distingue le Dieu du Coran de celui de la Bible (1) ? Là-dessus l’ignorance est grande et c’est dommage, car les Textes fondateurs, même si on ne les lit pas, ils nous lisent ; ou ils nous lient. En tout cas, la réponse des gens peu informés est qu’Allah, c’est le mot arabe pour dire Dieu, le Dieu biblique, donc, celui de Moïse et de Jésus, qui du reste dans le Texte hébreu se nomme Yahvé ou Elohim, dont la racine (El, Elah) est proche d’Allah, car l’hébreu et l’arabe sont des langues sœurs (sans qu’on sache qui est la mère ni s’il y en a une).
En fait, cette réponse est juste assez vraie pour être fausse.

 

Il faut donc y voir de plus près ; c’est ce que j’ai fait tout en montrant pourquoi cet acte simple (y voir de près) n’a pas été possible pendant des siècles. On peut aussi tenter de comprendre pourquoi aujourd’hui même, dans les pays arabes mais aussi en France, il est pratiquement impossible d’aborder ces questions de Textes et de transmission.

Dans les pays arabes, cela se comprend : toute approche critique du Coran est une insulte à celui-ci. Et même l’idée qu’il dérive de la Bible a été « résolue » et écartée par les théologiens qui ont posé que ce Livre saint était écrit de toute éternité et attendait auprès d’Allah qu’il le dictât à son Prophète.

 

Cela pose bien sûr plus de problèmes que cela n’en résout, car ce Livre raconte les histoires du peuple hébreu prises dans  la Bible  et, si elles étaient écrites avant d’être vécues, la liberté humaine en prendrait un coup fatal.
Et donc, après cet « examen de près », voici le constat qui s’impose : le Allah qui dicte le Coran (via l’ange Gabriel) reprend essentiellement les histoires de  la Bible , il semble prendre la suite du Dieu biblique, ou être le même que le Dieu de  la Bible , à ce détail près : il rejette les chrétiens parce qu’ils sont idolâtres et les juifs parce qu’ils ont trahi son message. Il n’en veut plus, il rejette l’Alliance avec le peuple de  la Bible  car ce peuple l’a trahie par ses mensonges et ses perversions. Ce rejet des juifs (et des chrétiens) ne se dit pas simplement dans certains versets, c’est un rejet structural : c’est parce qu’ils sont indignes du message divin qu’il a fallu le leur reprendre et le confier à l’ultime Prophète, Mahomet, qui fondera grâce à ce message la communauté des « vrais croyants », c’est-à-dire des gens « soumis » à Dieu. Nous reviendrons plus loin sur ce terme « soumis », qui en arabe se dit muslim (musulman) et qui est très spécifique du Coran.

 

Précisons d’abord ce rejet des autres (des gens du Livre : des juifs et des chrétiens ; même s’il est dit dans un verset unique qu’« il ne faut les affronter qu’en douceur »). Le rejet des chrétiens est très simple : ils sont idolâtres puisqu’ils croient que Dieu peut coucher avec une femme et avoir d’elle un Fils, ce qui est « stupide », car ce Fils, Jésus, est un Prophète comme les autres.

 

Le rejet des juifs est plus intéressant et il rythme ce que j’appelle la greffe Bible-Coran, où celui-ci absorbe celle-là dans une merveilleuse inclusion. Les juifs sont rarement nommés comme tels, mais ils sont toujours présents comme étant ceux à qui Dieu s’est adressé, à qui il a fait « tant de faveurs » et qui pourtant refusent de l’entendre : la preuve la plus récente est qu’ils refusent d’entendre son prophète Mahomet. Et au fond si ceux à qui on prend le Texte sont mauvais, ce n’est plus un plagiat, c’est un sauvetage du Texte. (A charge pour les sauveteurs, les « soumis », d’être meilleurs que les insoumis… Et c’est peut-être à ce niveau que la contrainte est un peu dure : si les nouveaux fidèles sont posés comme meilleurs que les anciens, et si la réalité ne suit pas, il y aura de dures épreuves.)


En tout cas, l’équation semble assez claire : Allah = Yahvé + une Décision prise par Yahvé au VIIe siècle après J.-C. Laquelle ? Celle de rejeter juifs et chrétiens. Les premiers pour perversion, les seconds pour stupidité. Bref, autant le YHVH de  la Bible  s’adresse aux siens qu’il fustige tout en les aimant, autant l’Allah du Coran se dresse contre les autres pour les rejeter comme figures du péché, responsables du mal.


Remarquons que le discours d’Allah sur les juifs est lui aussi, comme tout le reste, emprunté à  la Bible  juive : dans celle-ci, Yahvé (ou Elohim) est très dur pour son peuple, il est intarissable sur ses défauts, qui au passage se révèlent être ceux de tous les humains : une certaine difficulté à intégrer la loi symbolique et à s’élever un peu au-dessus de son ego et de son auto-idolâtrie. Mais peu importe, le fait est que le discours de  la Bible  juive s’adresse essentiellement aux juifs pour les fustiger (avec sans doute le projet de les redresser), tout en les consolant de la dureté divine par des paroles d’amour, et surtout par la promesse que l’Alliance ne sera jamais rompue, que c’est même dans le cadre de cette Alliance que Yahvé les harcèle, parce qu’il tient à cette transmission symbolique.

On pourrait dire que dans la tradition juive, le Dieu-YHVH, l’être chargé de mémoire, n’est autre que cette transmission symbolique à base de Loi, loi de grâce et de rigueur, qui appelle à toujours être interprétée, de façon neuve si possible.

Revenons sur le terme « soumis ». Le Coran fait défiler les personnages bibliques, ils racontent leur histoire plus ou moins abrégée, d’où il ressort qu’en général ils sont des êtres supérieurs contrairement à leur peuple, qui refuse de les entendre, et eux finissent par dire qu’ils sont « soumis » à Dieu, ce qui en soi est banal, mais le mot en arabe c’est musulmans. C’est ainsi qu’Abraham est musulman, Jacob aussi, qui dans  la Bible  s’appelle Israël ; Joseph, Jonas, Elie et Jésus et Marie, tous sont « soumis » à Dieu, donc musulmans.

 

Par ce simple jeu de mots, assez génial, le Coran inclut (ou islamise) ce qui le précède, et bien sûr ce qui le suit et qui a quelque valeur, car il faut être assez fou pour ne pas reconnaître qu’il y a quelque chose qui nous dépasse et à quoi on est « soumis », qu’on l’appelle Dieu, Raison, Vérité ou Histoire…

Cela veut dire que le discours d’Allah constitue une identité pleine, celle de l’ensemble des « soumis », qui est la oumma, dont la plénitude suppose le rejet des « insoumis ». Sa valeur est fondée sur la non-valeur des autres, des « insoumis ». Ce jeu sur « soumis », on n’en mesure pas la portée : de grands érudits arabes disent par exemple que le Coran « accueille » Moïse, David, Jésus et tous les prophètes de la Bible et ils se plaignent que juifs et chrétiens n’accueillent pas Mahomet. Or ces grands de la Bible ne sont « accueillis » qu’une fois « soumis », c’est-à-dire islamisés.


La conséquence de ce discours d’Allah, c’est que ceux qui trahissent et font le mal, ce sont les autres, et que si on déchoit on se met à leur ressembler ; et surtout que ce discours, par sa structure, est presque toujours pointé vers les autres ; vers ceux qu’il dénonce comme indignes. Car pour ceux qui sont dedans, pour ceux de la oumma, ce discours est très simple : Dieu est grand, unique, miséricordieux, etc., il faut être juste, faire l’aumône, faire le pèlerinage – toutes choses qui sont, elles aussi, prises dans la Bible.


Il faudra sans doute un long travail pour que l’islam acquière, par rapport à son Livre, la même distance que les juifs et les chrétiens ont acquise par rapport au leur.

 

 Serait-ce là un des buts que l’histoire vise en se livrant aujourd’hui à toutes ces agitations ? Le problème n’est pas simple.
Pour l’instant donc, Yahvé et Allah sont deux Dieux différents. Pour l’instant, car Dieu, c’est très évolutif : si le divin est l’horizon de l’humain, dès que les hommes bougent vraiment, leurs horizons bougent aussi, leurs limites intérieures, leurs frontières avec les autres…

Mais pour s’entendre faut-il avoir le même Dieu ? C’est peut-être le contraire. Ce que chacun appelle son Dieu n’est que sa piste (obstruée) vers le divin. Et si le divin c’est l’être chargé de mémoire, les hommes veulent d’abord avoir ; avoir raison, ou avoir l’être dans leur poche.
Bien sûr, on peut interpréter en termes humains l’émergence du Coran, et cela mène à cette hypothèse : les Arabes ont connu le Dieu biblique (Elohim, Allah) bien avant Mahomet, dont le père s’appelait Abdallah (serviteur d’Allah). Mais dans leur filière ismaélienne-édomite et ses ramifications, ils n’avaient pas de Livre à eux, ils se sont sentis « exclus », écartés du Livre. Ils ont donc, avec Mahomet, fait le leur, mais contrairement aux chrétiens qui ont innové en inventant le Dieu-homme, le Coran s’est contenté de prélever ses contenus dans  la Bible  et le Talmud, les exprimant dans la langue de son peuple, un bel arabe très poétique et envoûtant. Cette absence de nouveauté a exigé, semble-t-il, une certaine dureté envers ceux qu’on remplace.

Cela dit, rappelons le problème des deux autres, qui est béant : 

  • Le Dieu des juifs pèse trop lourd pour eux, et leur demande une trop grande violence contre eux-mêmes. 
  • Et le Dieu des chrétiens leur demande plus d’amour qu’ils n’en peuvent donner, sans hypocrisie. D’où l’énorme culpabilité en Europe.

En tout cas, les trois sont ainsi à l’étroit dans leur message, essayant quand même d’en sortir… quelque chose qui vaille". 

Transcris par http://danilette.over-blog.com/

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Tag(s) : #Daniel Sibony
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