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De grands travaux vont commencer dans Médine, la seconde ville sainte de l'islam. Ils vont provoquer la destruction de mosquées antiques et d'autres sites pleins d'histoire témoignant des actions du prophète, parmi les plus précieux de l'islam des origines. Paradoxalement, ces destructions s'inscrivent dans une longue histoire de mise à mal des lieux saints musulmans par des musulmans. Elles ne provoquent d'ailleurs aucune contestation majeure dans le monde musulman, si prompt à s'indigner violemment pour des évènements tout à fait mineurs au regard de ce qui se prépare aujourd'hui dans le berceau de l'islam.
Parodions Paul Valéry. Nous autres religions savions déjà que nous pouvions être anthropophages; nous apprenons désormais que nous pouvons être autophages.
Une religion se fait anthropophage quand elle dévore une religion sœur. Alors d'un même mouvement, elle la ravale au rang de doctrine impie et elle s'abreuve de son aura, de ses prophètes, de ses mythes, de ses images et des coutumes les plus nobles de sa célébration de la divinité. Le christianisme a ainsi développé, depuis Paul de Tarse ou Tellurien, la théologie de la substitution, ou de la Nouvelle Alliance, s'alimentant de la chair du judaïsme et pourchassant ses fidèles par le verbe et par le fer.
C'est sans doute là un objectif recherché par la plus haute hiérarchie religieuse du pays. Le grand mufti d'Arabie saoudite, Abdulaziz al-Sheikh, et le Sheikh Ibn al-Uthaymeen, l'un des plus prolifiques théologiens saoudiens du 20ème siècle, demandent depuis longtemps la démolition des tombeaux de Mahomet, Abou Bakr, Othman, ou Omar. Il y a une douzaine d'années, au sein de l'université de Médine, ils avaient fait rédiger par un doctorant du nom de Muqbil Ibn Hadi al-Wadi'i, une thèse allant dans ce sens, au prétexte du respect des trois pierres angulaires du wahhabisme : pas d'innovation, pas de déviance, pas d'idolâtrie. Bizarrement, la prohibition de l'idolâtrie justifie la destruction des tombeaux et des mosquées et non celle du grand cube noir de la grande mosquée de La Mecque, la Ka'aba.
La démolition par des musulmans des lieux musulmans les plus saints n'est pas une nouveauté mais une vieille histoire. (2) Dès 1803, les fils de Abd al-Wahhab et de Ibn Saoud s'emparent de la Mecque, et lancent des campagnes de destruction des édifices sacrés, accusés d'être les épicentres de l'idolâtrie. Ils détruisent les constructions religieuses antiques, abattent toutes les coupoles et recouvrent même les fameux puits de Zam Zam où le prophète buvait l'eau jaillissant sur l'ordre d'Allah, une eau qui lui avait un jour lavé le cœur. En 1806, ils occupent Médine et s'en prennent à nouveau à tous les bâtiments religieux, y compris le très fameux cimetière Maqbaratou al-Baqi' (le Jardin du Paradis) où sont enterrés les plus proches compagnons de Mahomet, bon nombre de ses épouses, et de ses oncles et tantes. Les Wahhabites ne parviennent pas à détruire le tombeau de Mahomet mais ils transforment l'esplanade du Jardin en décharge publique pour que les tombes ne soient plus identifiables.
A la demande des Ottomans, Mehmet Ali Pacha, le vice-calife d'Égypte, ira les déloger en 1818, inaugurant une période de reconstruction dans le style somptueux du califat d'Istanbul. Mais à partir de 1925, le cycle des destructions reprend. Baqi' qui est à nouveau ravagé, de même que le cimetière de La Mecque, Maqbara'al-Ma'la, où se trouvent les tombes de la première épouse du prophète, Khadidja, de son grand-père et d'autres ancêtres.
Les destructions ne cesseront plus. La maison de Mawlid où le prophète est né est démolie et remplacée par un marché au bétail. C'est aujourd'hui une bibliothèque. En 1998 la tombe de la mère du prophète, Amina bint Wahb, est rasée et remplie de pétrole. Il en est de même de la maison de Khadidja, où le prophète avait reçu sa première révélation et où ses cinq premiers enfants étaient nés.
Ces ravages auront touché 95% des lieux saints et constructions religieuses initiales de l'Islam, avant l'an 1000. Elles se poursuivent sous nos yeux. Sur les 7 mosquées commémorant la célèbre bataille de la Tranchée à Médine, seules deux sont encore debout. Le tombeau du prophète est en place mais très menacé.
Si le puritanisme est l'une des mamelles du wahhabisme, l'autre est la vénalité. Les Saoudiens ont une conscience aigüe des limites de la ressource pétrolière et ils s'acharnent à préparer l'avenir. L'extension projetée de la mosquée de Médine part du constat qu'une classe moyenne musulmane mondiale s'est constituée, et qu'elle représente aujourd'hui 12 millions de pèlerins par an, 17 millions en 2025.
Aussi les emplacements les plus sacrés de l'islam se sont-ils couverts d'hôtels de luxe, de gratte-ciels vendus par appartements, de centre commerciaux et de parkings. Le complexe Jabal Omar, les tours Méridien, et une énorme tour-horloge dominent la place sacrée Masjid al-Haram à La Mecque. Étrangement, on ne les voit pas sur les images diffusées en Occident.
Récemment, les jihadistes de AQMI ont révulsé l'Occident en mettant en pièce des portes sacrées et des édifices musulmans pluri centenaires de Tombouctou, une cité fantasmée et idéalisée en Europe depuis le fameux récit de René Caillé. Ils étaient tout simplement sur les brisées autophages des wahhabites.
L'autophagie de l'islam ne touche pas au dogme mais aux lieux saints musulmans. Pour la majorité des musulmans, il semble quand même que les lieux saints soient sacrés. Pour eux, ils ne doivent pas être détruits au bulldozer mais respectés, au nom même de la foi. Il n'empêche que le berceau de l'islam est entre les mains des wahhabites et qu'ils mettent en pièces l'héritage antique musulman au nom de leur vision rigoriste de leur religion et de leurs attentes financières. Mais la protestation des musulmans opposés à cette politique de la terre religieuse brûlée est-elle si sonore et indignée que cela? Le tombeau du prophète est en balance, mais où sont les furieuses campagnes mondiales que l'on a connu quand il ne s'agissait que de caricatures? Il faut croire qu'au fond, la matérialité des lieux les plus saints n'est pas une question si décisive que cela en islam.
Par contre qui n'entend pas les cris d'orfraie de l'OCI (Organisation de la Conférence islamique, 56 États) et même de l'Europe quand Israël engage des travaux de sécurisation aux environs de l'Esplanade des mosquées (Mont du Temple) à Jérusalem. Qui ignore que les Intifada palestiniennes ont été menées sous le drapeau de la préservation de la mosquée al-Aqsa ou du Dôme du Rocher, qui auraient été mis à terre depuis des siècles sous gestion saoudienne. On connait aussi les égards des Talibans envers les Bouddhas de Bâmiyân courageusement pulvérisés au canon en 2001, l'année officielle de l'Alliance des civilisations.
C'est pourquoi l'UNESCO a pris une lourde responsabilité en confiant à l'Autorité palestinienne la protection de l'église de Bethlehem qui commémore la naissance du Christ, oubliant les dévastations occasionnées par ces derniers et leurs prédécesseurs jordaniens aux vestiges du judaïsme antique en Judée et en Samarie.
Notes
Saudis take a bulldozer to Islam's history par Jerome Taylor, le 26 octobre 2012 http://www.independent.co.uk/news/world/middle-east/medina-saudis-take-a-bulldozer-to-islams-history-8228795.html
et The Saudis are bulldozing Islam's heritage. Why the silence from the Muslim world? par Damian Thompson 02 novembre 2012http://blogs.telegraph.co.uk/news/damianthompson/100187644/the-saudis-are-bulldozing-islams-heritage-why-the-silence-from-the-muslim-world/